Economie,  Espagne

Bankia: Too big to fail

 

Synonyme de fraude colossale pour les particuliers, d’un procès retentissant pour la justice espagnole et de faillite historique pour les économistes, l’histoire de Bankia restera gravée dans la mémoire des espagnols.

Bankia, c’est avant tout l’histoire d’une fraude sans précédent. C’est ce qu’a sous-entendu début octobre 2019 Carmen Launa, la cheffe du parquet anti-corruption qui examine depuis 2018 le sort des 35 dirigeants de l’établissement financier, assis sur le banc des accusés. Parmi eux, il y a l’ancien patron du FMI, Rodrigo Rato, accusé de l’entrée en bourse frauduleuse de Bankia, un géant né de la fusion de sept caisses d’épargne espagnoles.

Dans son rapport concluant le procès, Carmen Launa est formelle: “il ne s’agit pas d’erreurs mais de falsifications conscientes de la réalité économique du groupe que les accusés ont transmis aux autorités boursières et à des tiers afin de conserver leurs postes, leur pouvoir et leurs privilèges”, confie-telle au quotidien El Pais. Elle a qualifié l’affaire Bankia de « fraude la plus importante jamais connue en Espagne, de par son volume, du nombre de victimes et de son impact économique ».

Après des mois d’audience, le verdict de la responsable anti-corruption est tombé.  Elle demande une peine de huit ans de prison pour celui qu’elle considère comme le principal responsable de la débâcle: l’ancien président de Bankia et ancien directeur du FMI, Rodrigo Rato. “Dans ce procès, nous n’avons pas évalué les erreurs de gestion d’entreprise parce que ceci ne relève pas de nos compétences. Ce que nous avons jugé, c’est une fraude majeure lors de laquelle les économies de millions de personnes se sont volatilisées et suite à laquelle s’est produit le plus important sauvetage financier de notre histoire, a déclaré Carmen Launa à la presse. 

La chute vertigineuse de l’ex patron du FMI

On est désormais très loin du Rodrigo Rato, qui s’affichait en 2011 radieux, une coupe de champagne à la main. Cette image, c’était au moment de l’introduction en bourse de l’organisme financier qu’il dirigeait. 

Un an plus tard, les bulles de champagne étaient retombées, tout comme le cours de l’action de Bankia qui perdait plus de la moitié de sa valeur depuis sa cotisation en bourse. Suite à la débâcle du titre, c’est un Rodrigo Rato affligé, cachant une partie de son visage dans sa main, qui faisait la une des journaux le 9 mai 2012. A cette date fatidique, le gouvernement annoncait la nationalisation de l’établissement financier ainsi qu’une première injection publique de 4,5 milliards d’euros. Rodrigo Rato communiquait le même jour sa démission du poste de président du groupe bancaire.

19 jours plus tard, une annonce de taille allait ébranler le système financier de la péninsule: celle du montant de l’intervention publique. Au total, 23, 5 milliards d’euros allaient être nécessaires pour sauver un géant aux pieds d’argile.

Comment en est-on arrivé là ?

Selon Joaquin Maudos, professeur d’économie à l’Institut Valencien des Recherches Economiques (IVIE), “la bombe a éclaté lorsque la société d’audit Deloitte refusa de valider le rapport des comptes” de l’établissement financier. Les experts interrogés estiment que Deloitte ne voulait pas certifier les comptes de la maison mère Bankia, BFA (Banco Financiero de Ahorros) car la compagnie était surévaluée. “Deloitte a révélé qu’il y avait un trou de 3,5 milliards d’euros dans le patrimoine de Bankia”, souligne Manuel Romera, directeur du secteur financier à l’IE Business School. Selon Joaquín Maudos, c’est suite aux nouvelles provisions de 30 milliards d’euros exigées par le gouvernement espagnol début mai que Bankia s’est retrouvée dans l’impasse. 

Croulant sous 32 milliards d’euros d’actifs immobiliers toxiques, l’organisme financier ne pouvait pas provisionner 4,722 milliards d’euros supplémentaires. Ni ses résultats ni son capital ne lui permettaient de faire face à ces nouvelles exigences, sans parler de celles de l’Autorité bancaire européenne (EBA) qui imposaient aux banques d’atteindre un « core capital » de 9 % avant le mois de juillet 2012. Une fois réexaminés, les comptes 2011 de BFA présentaient une perte de 3,3 milliards d’euros, a révélé un avis transmis au régulateur boursier le 28 mai dernier. 

Dans un premier temps, l’Etat espagnol décidait alors de prendre le contrôle de BFA et de Bankia en transformant en actions le prêt public de 4,465 milliards d’euros concédé par le Fonds de restructuration bancaire (Frob). Fernando Herrero, secrétaire général de l’Association des usagers des banques, des caisses d’épargne et assurances (Adicae) explique que « l’Etat avait octroyé un prêt à BFA en échange de ces fameuses Cocos (obligations convertibles contingentes). Lorsque l’Etat a compris qu’il n’allait jamais récupérer l’argent donné à BFA, il a décidé de transformer ces Cocos en actions ».

Fernando Herrero dénonce le fait que ces titres de dettes à rendement très élevé ont également été vendus par Bankia et par d’autres caisses d’épargne à des particuliers afin de pouvoir faire face aux exigences de recapitalisation des banques imposées par l’EBA : « Avec Bâle III, les Cocos ne sont plus prises en compte dans le « core capital » et les banques cherchent à les transformer en actions. » Selon lui, Bankia aurait vendu massivement ce produit à ses clients alors que la Banque d’Espagne et la Commission nationale des marchés (CNMV) l’avait décrit comme « complexe » et « non indiqué pour la commercialisation en masse ». Malgré ces avertissements, les établissements financiers espagnols ont vendu pour plus de 30 milliards d’euros de ce type de titres, souligne-t-il.

Too big to fail

Or malgré un premier prêt public, la situation se dégradait encore pour Bankia et un vent de panique s’abattait sur l’Espagne. Le ministre Luis de Guindos annonçait le 23 mai que le gouvernement injecterait 9 milliards d’euros de plus. Deux jours plus tard, le montant était porté à 19 milliards. Cette aide, qui s’ajoutait aux 4,5 milliards précédents, n’était en fait pas un prêt mais bien une recapitalisation d’urgence. Le Frob (Fonds de Restructuration Bancaire) devait l’apporter à BFA qui ensuite devait souscrire à une augmentation de capital de 12 milliards d’euros dans Bankia.

Des sources gouvernementales ont indiqué que des titres de dette souveraine pourraient être utilisés dans cette opération. Et cette méthode pourrait servir à aider d’autres banques espagnoles en difficulté… « L’Etat va certainement contrôler l’établissement jusqu’à son assainissement et son redressement », remarque Joaquín Maudos. « Qui d’autre pourrait prendre le contrôle d’une banque aussi grande qui représente 340 milliards d’euros d’actifs et 10 millions de clients ? C’est impossible. »

Comme on pouvait s’y attendre, le cours de l’action Bankia s’effondrait et son titre perdait 40% de sa valeur. Pris de panique, les clients auraient retiré, selon le quotidien El Mundo, plus d’un milliard d’euros. 

Le 28 mai 2012, le ministre de l’Economie de l’époque, Luis de Guindos, avait donc dévoilé le montant total de l’intervention publique. Pour sauver le géant, il fallait injecter 23,5 milliards d’euros.

La nationalisation de Bankia a mis à mal l’ensemble du système financier espagnol. Suite à l’annonce de la première injection dans le géant bancaire, l’agence américaine Moody’s avait dégradé dès le 17 mai 2012 seize banques espagnoles, dont Santander et BBVA. Selon Manuel Romera, « tous les établissement financiers exclusivement concentrés sur l’Espagne ont les mêmes problèmes que Bankia, qui n’est qu’un bouc émissaire ». Un autre expert résume : « La genèse du problème s’appelle l’éclatement de la bulle immobilière. La détérioration de l’état de santé de Bankia s’appelle la situation espagnole».

2012: Des épargnants prêts à descendre dans la rue

L’Association des usagers des banques, des caisses d’épargne et assurances (Adicae) a annoncé en 2012 qu’elle descendrait dans les rues d’Espagne pour réclamer des solutions pour les épargnants devenus détenteurs d’actions préférentielles, les fameuses « Cocos » (obligations convertibles contingentes). Selon l’Adicae, les épargnants n’auraient pas été informés des risques liés à la vente de ces produits complexes présentés comme des placements sûrs. Cela pourrait concerner quasiment un million d’Espagnols, estime Fernando Herrero, secrétaire général de l’Association, par ce qu’il qualifie de « tromperie massive ». « Chez Bankia, on parle de 100.000 clients , précise-t-il. On a dit aux épargnants qu’il n’y avait aucun risque en achetant ces obligations mais ce n’était pas vrai : les Cocos ne sont pas protégés par le Fonds de garantie des dépôts. En cas de faillite, ces Espagnols sont les derniers à récupérer leur argent, comme des actionnaires. » L’Adicae réclame indemnisations des clients floués et responsabilités.