Espagne

La Jonquera, supermarché de la prostitution

Une petite ville à la frontière franco-espagnole est devenue une immense zone commerciale où « tout est moins cher », disent les Français qui affluent : l’alcool, le tabac, mais aussi la prostitution…

C’est la première cité espagnole – 3 200 habitants – après le col du Perthus. Autrefois, La Jonquera hébergeait des douaniers. Jusqu’en 1992. A l’application du traité de Schengen, le service des douanes disparaissait, plongeant la bourgade dans une profonde crise. Puis c’est le commerce en tout genre qui s’y développe : principalement l’alcool et le tabac. La ville s’est reconvertie en zone commerciale low cost, offrant des services aux 8 000 camions qui transitent dans la ville tous les jours. La Jonquera, c’est 17 stations-service, 30 supermarchés, 70 magasins, six bars-tabac, 46 cafés et restaurants et, depuis peu, un centre commercial de 20 000 m2.

Aujourd’hui, son nom est aussi synonyme de supermarché de la prostitution. La maire, Sonia Martinez, déplore ce tourisme sexuel. Elle explique que de jeunes garcons, du sud de la France notamment, viennent « célébrer » leurs 18 ans dans l’un des clubs, à 6 km de la frontière.

« Ici, tout est moins cher. On est venus faire la fête et on a de l’argent », racontent trois blonds aux yeux bleus dilatés sous l’effet de la marijuana. Ils sont venus s’offrir les charmes des jeunes roumaines du Lady’s Dallas. Perchées sur des talons interminables, et portant des dessous fluorescents cachant à peine leur corps élancé, ces prostituées roumaines ou bulgares , parlent toutes le francais. Elle sont arrivées ici avec l’entrée de leur pays au sein de l’Union Européenne. 

La maire regrette aussi la médiatisation du « Paradise », qui se targue d’être le plus lupanar d’Europe. Selon elle, cette publicité n’a fait qu’alimenter le tourisme sexuel transfrontalier. Sur la façade du « Paradise », un bloc de béton situé au beau milieu d’une zone industrielle, quatre palmiers fluorescents clignotent à la nuit tombée. Cette forteresse est gardée par des vigiles, dont un est perché en haut d’une guérite, comme aux postes frontières de l’ancienne RDA. 

Dès 17 h, les clients – 85 % de Francais – commencent à affluer. La clientèle y est plus âgée que dans les autres clubs des environs. En témoignent ces deux quinquagénaires parisiens qui passent leurs vacances en famille, non loin. Ils disent venir de Belgique alors que leur voiture est immatriculée à Paris. Au volant de sa Bentley, un Hollandais au teint hâlé, d’une quarantaine d’années, arrive en trombe. Il se dirige d’un pas rapide retrouver l’une des 150 filles qui « travaillent » au Paradise : des Brésiliennes, Russes, Roumaines, Asiatiques ou Latino-américaines. 

“C’est un client habituel”, explique un autre habitué du bordel attiré par le faste clinquant de cet établissement aux 80 chambres.  Selon un ancien employé du club, la passe correspond au prix quotidien de la chambre que José Moreno, le gérant du bordel, fait payer à ses “señoritas”. “Le reste c’est pour elles”, assure-t-il.

Peu de temps après l’inauguration de son “puticlub”, le gérant lui même confiait que certaines faisaient “jusqu’à 16 passes par jour” et que pendant les quatre premiers jours après l’inauguration, il avait recu 4810 clients. Depuis, cet andalou sur qui pèse une condamnation de trois ans de prison, ne désire plus parler à la presse. “On ne peut plus travailler tranquillement”, s’offusque-t-il. 

Supermarchés du sexe pas bienvenus à la Jonquera

Car le « Paradise » ne cesse de faire parler de lui. Le club a été la cible de trois attentats, dont l’un d’entre eux a provoqué l’évacuation de milliers de personnes. Sonia Martinez lutte depuis des années contre la prostitution qui ternit l’image de ce village frontalier qui fleurit grâce au commerce dérivé de sa position géographique. Commercants, villageois et autorités du village craignent que les récentes attaques contre le « Paradise » pourraient faire fuire la clientèle traditionnelle familiale des vacanciers francais. On parle tout bas d’un règlement de compte entre mafias ou clubs qui se font concurrence. José Moreno, le patron du Paradise et d’autres clubs en Catalogne, est poursuivi par la justice espagnole, accusé d’avoir mis en place des réseaux de proxénétisme.

“On associe toujours la Jonquera à la prostitution mais le problème est national”, lance Sonia Martinez. ”Les lois en Espagne sont plus permissives qu’en France et en conséquence, les clients francais viennent ici”. Selon Sophie Avarguez et Aude Harley, deux chercheures du département de sociologie de l’Université de Perpignan, “l’assymétrie législative entre la France et l’Espagne agit comme un moteur d’attractivité”. Pour elle, “la prostitution en club s’inscrit dans le paysage” de l’activité commerciale et des services offerts à la Jonquera. “Les hypermarchés trouvent leur équivalent dans les « puticlubs », véritables supermarchés du sexe autour desquels gravite une véritable industrie où tout est fait pour développer l’offre et la demande”, remarquent-elles.

Juillet 2013