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Le fabuleux destin de Pechelbronn

 

Et si l’un des plus vieux gisements de pétrole se trouvait en Alsace, et plus précisément à Pechelbronn-Merkwiller, une commune de 900 habitants située à 53 km au nord de Strasbourg ?

 

Cette information surprenante ne l’est pas pour Daniel Rodier, féru d’histoire et membre de l’association des Amis du Musée du Pétrole de Pechelbronn. Pour lui, il ne fait aucun doute que Pechelbronn a joué un rôle prépondérant dans le développement de l’industrie pétrolière en France.

Le pétrole en Alsace

Il raconte que Pechelbronn est à l’origine de plusieurs grandes premières. C’est ici que fut créée au 18ème siècle la première société par actions dont l’activité gravitait autour du pétrole. C’est ici aussi que naît la chimie organique moderne grâce aux travaux du chimiste Joseph Achille Lebel, dont la famille possédait les mines de pétrole de Pechelbronn. C’est également dans cette bourgade qu’une technique d’exploitation unique au monde sera développée par le polytechnicien suisse De Chambrier. Et c’est enfin ici que l’Institut Français du Pétrole verra le jour.

A cette longue liste, Daniel Rodier ajoute: « Une grande première mondiale a été faite à Pechelbronn en 1927 par les frères Conrad et Marcel Schlumberger: le premier carottage électrique (logging) qui révolutionnera la prospection pétrolière ». Cette technique révolutionnaire permet en effet de mesurer les caractéristiques du sous-sol. Elle sera utilisée dans les puits de pétrole du monde entier.

Foreuse en face du Musée du pétrole à Pechelbronn


Une source aux multiples vertus

 

A l’origine de cette histoire singulière : une source. De cette source qu’on appelle « Baechel Brunn », la Fontaine de la Poix, jaillit un liquide graisseux, dont la présence est mentionnée par l’humaniste Jakob Wimpheling en 1498. Les bienfaits curatifs du liquide noir, notamment pour traiter les maladies de la peau, suscitent alors l’intérêt des médecins et des apothicaires. Mais selon Daniel Rodier, les premiers à en connaître les vertus sont les sangliers « qui viennent se vautrer dans les flaques de pétrole pour se désinfecter et enlever toute la vermine ».

Le pétrole sera alors utilisé comme remède pour soigner certaines pathologies. Dans une thèse consacrée aux huiles du gisement alsacien, Jean-Théophile Hoeffel, un étudiant en médecine en souligne son utilité curative. Dans un article paru dans la Revue de l’Energie, Alain Beltran, chercheur au CNRS, raconte que ses travaux permettront de faire connaître le gisement.

Selon le Musée du Pétrole, cet étudiant originaire de Woerth serait sans le savoir à l’origine d’une découverte de taille. En menant des expériences avec le liquide, « il isole le pétrole lampant » qui sera utilisé « un siècle plus tard pour l’éclairage » dans les lampes à huile.

Le roi de France et le pétrole alsacien

Mais il faudra attendre Louis XV pour qu’une activité liée au liquide graisseux se développe, explique Daniel Rodier. A l’époque, « on a besoin de l’asphalte pour le bois des bateaux », remarque-t-il. C’est l’interprète du Roi de France en Suisse, Louis Pierre Ancillon De la Sablonnière qui obtient la concession pour exploiter l’asphalte alsacien. En 1741, il créé une société par actions. C’est ainsi que la plus ancienne société pétrolière au monde voit le jour à Pechelbronn.

Exposition photo sur l’histoire du pétrole à Pechelbronn


L’essor industriel de Pechelbronn

 

Mais c’est avec la famille Lebel, qui rachète la société, que le gisement va connaitre son essor à partir du 18ème siècle. En sortant de son école d’ingénieurs, Louis Frédéric Achille Lebel créera en 1850 les premières installations de raffinage mais la famille décide de vendre la concession à des investisseurs alsaciens.

C’est alors que l’histoire s’en mêle. En 1870, l’Alsace devient allemande et les investisseurs alsaciens doivent finalement revendre au début du siècle les installations aux allemands qui agrandissent l’usine. Ces derniers ont une priorité: servir l’industrie de guerre allemande.  La société alsacienne « Pechelbronner Ölbergwerkquelle » s’intègre donc à l’économie allemande. Et en cette période de guerre, le pétrole est d’une importance majeure, notamment pour l’équipement militaire. Selon Daniel Rodier, «c’est l’époque où le pétrole commence à avoir une valeur énergétique et stratégique ». Les allemands ne vont cesser de forer pour exploiter au maximum le gisement alsacien qui commence à montrer des signes d’essoufflement.

C’est encore de Suisse que viendra la renaissance de Pechelbronn. La découverte du polytechnicien suisse Paul de Chambrier, permettra de relancer son activité. De Chambrier s’aperçoit que seuls 10% du gisement sont exploités. Il va alors mettre au point une technique « unique au monde » qui va permettre de mieux faire remonter le pétrole et donc d’augmenter les rendements de l’exploitation. « On va creuser des galeries échelonnées sur plusieurs niveaux, juste au-dessus du pétrole. Sur 1300 hectares, 450 kilomètres de galerie vont être creusés avec 20 000 puisards », note Daniel Rodier. L’activité est telle que 3500 personnes travailleront sur le site de Pechelbronn. La production passera alors de 40 000 à 70 000 tonnes de pétrole par an.


Les turbulences de l’histoire n’auront pas raison de Pechelbronn

 

Lorsqu’elles retomberont dans le giron français, les installations de Pechelbronn seront utilisées comme «laboratoire pour mettre en place une future industrie pétrolière française », insiste Daniel Rodier. « A la sortie de la guerre, l’état comprend que le pétrole devient énergétique et stratégique ».

Comme le pétrole de Pechelbronn est trop lourd pour en faire de l’essence, il trouvera son utilisation dans les graisses destinées à l’entretien des machines et des canons. C’est sur cette huile que la société ANTAR créée en 1926 va miser. Les lubrifiants alsaciens vont alors rayonner dans tout l’Hexagone.

Mais de nouveau, l’Alsace repasse aux mains des allemands. Daniel Rodier explique que ce sont les mêmes cadres allemands qui reprendront l’affaire, désormais mise au service de l’effort de guerre des nazis. Assoiffés de pétrole, les allemands iront même jusqu’à fabriquer du pétrole synthétique à partir du charbon.

Le 3 août 1944, les américains sont bien décidés à couper cette source de ravitaillement aux forces allemandes et bombardent massivement le site de production de Pechelbronn. Détruite à 90%, la raffinerie sera remise en marche en 1947. Epuisé, le gisement n’est plus rentable et le site fermera définitivement ses portes en 1970.

Aujourd’hui, quelques ruines et le Musée du Pétrole rappellent le passé glorieux de cette bourgade, qui a donné naissance en 1919 à l’Institut Français du Pétrole. De renommée internationale, cette école formera les futurs cadres des unités pétrolières. « Des foreurs alsaciens étaient  demandés partout dans le monde », remarque Daniel Rodier.

Malgré les apparences, la Belle au bois dormant n’est toujours pas endormie et grâce à l’implication de quelques passionnés, le site pourrait connaître un nouvel essor. Certaines rumeurs parlent de la création d’une future cité des énergies. Décidément, Pechelbronn a bien l’intention de surprendre de nouveau et de faire encore parler d’elle.

 

Musée du Pétrole de Pechelbronn

 

Publié le 2 septembre 2020

Pour plus d’informations: Site du Musée du Pétrole de Pechelbronn