Economie

Le marché des « Green bonds » à la baisse en 2020

Alors qu’en 2019 le marché des obligations vertes (Green bonds) connaissait une croissance fulgurante, les émissions ont chuté de 26% au premier semestre 2020.  La crise sanitaire du coronavirus a-t-elle freiné son essor ? Décryptage.

 

Le marché des « Green bonds » (obligations vertes) a le vent en poupe. Cette dette verte qui permet aux émetteurs de financer des projets ayant un impact positif sur l’environnement et aux investisseurs de donner un sens à leur investissement, connait depuis quelques années un franc succès.

De bonnes statistiques

Les données statistiques publiées chaque année par l’organisation britannique à but non lucratif Climate Bond Initiative (CBI) donnent l’ampleur de cet essor spectaculaire. Entre 2014 et 2016, les émissions d’obligations vertes ont presque été multipliées par trois, passant de 36,6 à 81 milliards de dollars. En 2019, elles affichaient un nouveau record avec un volume d’émissions atteignant les 257, 7 milliards de dollars.

Pourtant au premier semestre 2020, les émissions de dette verte ont chuté de 26%  à 91,6 milliards d’euros contre 117,8 milliards d’euros enregistrés au premier semestre 2019. Comment expliquer ce ralentissement ? Un effet de mode qui s’estompe ? Une perte d’enthousiasme de la part des investisseurs ?

Selon l’organisation britannique CBI, la « pandémie du Covid-19 » pourrait « probablement » être à l’origine de cette baisse. « Bien que la part des émissions souveraines ait stagné au premier semestre 2020, les gouvernements ont également sélectionné des labels autres que celui de la dette verte afin de mitiger les effets du coronavirus et préparer le chemin de la récupération », souligne l’organisation dans un rapport d’analyse datant d’août 2020.

Coronavirus oblige, la priorité a été donnée à la levée de fonds pour lutter contre la pandémie. Une analyse de l’organisation Climate Bond Initiative (CBI) révèle qu’environ 75 milliards de dollars d’obligations labellisées coronavirus ont été émises au premier semestre 2020. Parmi les émetteurs, la Banque de Développement du Conseil de l’Europe, la Banque Interaméricaine de développement, la Banque africaine de développement, la Macao Bank of China et l’IFC (International Finance Corporation).

Selon le Crédit Agricole, ces obligations coronavirus « servent à financer la lutte contre l’épidémie actuelle de Covid-19 et contribuent à atténuer les répercussions sociales et économiques de la pandémie ».

 

Diversification des pays émetteurs

Donc une chute non alarmante puisque les opérations continuent, comme le témoigne la récente décision du gouvernement allemand. Ce mois-ci, l’Allemagne est entrée dans le club des pays émetteurs avec une première émission d’obligations vertes à 10 ans pour une valeur de 6,5 milliards d’euros.

Parmi les plus gros émetteurs de dette verte sur le marché en 2019, on comptait les Etats-Unis, la Chine et la France en troisième position. En 2020, la France a pris la place de la Chine qui se retrouve au premier semestre 2020 en quatrième position derrière les Pays-Bas. Pays hôte de la COP21, Paris souhaite se positionner en leader mondial des « Green bonds ». Dès 2017, la France émettait la première obligation verte souveraine pour un montant de 7 milliards d’euros. En 2018, elle poursuivait sur cette lancée en levant des fonds pour une valeur de 5, 096 milliards d’euros. Au 30 juin 2020, l’encours de cet emprunt s’élevait à 25 milliards d’euros.

Selon Anthony Requin, directeur général de l’Agence France Trésor (AFT), « la France se place ainsi, désormais, parmi les principaux émetteurs d’obligations vertes à l’échelle mondiale, ce qui reflète son rôle moteur dans la mise en œuvre des ambitions de l’accord de Paris sur le Climat de décembre 2015 ».

Un marché en pleine effervescence

En 2018, l’Union Européenne a également lancé un plan d’action de la finance durable. Depuis, plusieurs pays européens ont suivi l’exemple de la France. Avec une part de 45% des émissions totales, les pays européens se situent en tête de ce marché, suivis par l’Asie-Pacifique (25%) et de l’Amérique du Nord (23%), selon CBI.

Cet engagement fait boule de neige. Le Trésor britannique a, par exemple, lancé la « Green Finance Initiative » alors que plusieurs places financières à Francfort, Zurich, au Luxembourg, en Suède et au Pays-Bas, se sont mises à coter des obligations vertes.

Le Luxembourg est même allé plus loin en 2016 avec le lancement de la « Luxembourg Green Exchange » (LGX), la première bourse verte d’Europe. « Avec 133 obligations vertes, d’une valeur cumulée de 63 milliards d’euros, la jeune bourse verte du Luxembourg Stock Exchange est le leader mondial sur le marché avec presque la moitié des obligations vertes cotée », peut-on lire dans un communiqué du gouvernement luxembourgeois. Première place financière au monde, entièrement consacrée aux instruments financiers durables et écologiques, la LGX a été créée en partenariat avec la Chine, et notamment avec les bourses de Shangai et de Shezhen, la Bank of China et le Shanghai Clearing House, souligne l’Agence Luxembourg for Finance.

Parmi les initiatives pour structurer ce nouveau marché, des règles plus strictes pour encadrer ces investissements ont également été mises en place. Des labels, une harmonisation des standards de «reporting » et une analyse de l’impact environnemental permettent ainsi de stabiliser un marché en pleine effervescence mais très exposé aux risques liés à sa crédibilité.

 

Un marché jeune

Il faut souligner que ce marché est relativement récent. Plusieurs sources se disputent d’ailleurs sa date de naissance. Selon une note de la Banque de France, c’est la ville de San Francisco qui aurait réalisé la première émission de dette verte en 2001. D’autres sources accordent aux banques de développement la primauté dans l’essor de ce marché. « En 2007, la Banque européenne d’Investissement (BEI) lançait sa première émission thématique dite Climate Awareness Bond » et « en 2008, la Banque Mondiale émettait sa première obligation verte », souligne le Commissariat Général au Développement Durable dans une publication de 2016. Cette information est également reprise par l’International Finance Corporation (IFC), membre de la Banque Mondiale.

Malgré sa belle croissance, le marché de la dette verte ne représente qu’une part infime d’un marché obligataire qui compte pour plus de 1.000 milliards de dollars. Selon le quotidien La Tribune, la part des obligations vertes s’élèverait à peine à 1% de l’ensemble du marché de la dette. Les Nations Unies invitent les investisseurs privés à se mobiliser. Car pour atteindre les Objectifs de Développement Durable, une levée de fonds considérable sera nécessaire: « entre 5000 et 7000 millards de dollars », estime la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (UNCTAD). La lutte contre le changement climatique fait partie des 17 objectifs des Nations Unies à atteindre avant 2030. « L’émission d’obligations se consacrant aux objectifs de défense de l’environnement dans le monde doit continuer à augmenter et si nous voulons satisfaire la totalité des objectifs de développement durable, elle devra passer de millions à des milliers de millions de dollars », conclut CBI.

 

Publication 15/09/2020