Aragon,  Espagne,  Reportages

Le secret de la truffe noire

Sarrión, capitale mondiale de la truffe ? Qui se douterait en voyant ce village de 1150 habitants situé dans la province de Teruel en Aragon que c’est ici que le diamant noir prolifère.

Dans ce village aux maisons de pierre, pas âme qui vive. Une ambiance de Far West règne dans une région avec la plus faible densité de population d’Europe : trois ou quatre habitants au km2. C’est grâce à la truffe noire, la fameuse ‘tuber melanosporum’ que ses villageois sont parvenus à sortir de la misère.

A elle seule, cette région, située au centre-est de l’Espagne dans l’Aragon, a produit entre 2013 et 2014 presque 37 tonnes de truffe noire, soit presque la totalité de la production espagnole estimée à 40 tonnes, voire celle de la France, qui se situerait, selon le quotidien El País, entre 40 et 50 tonnes. Manuel Doñate, un jeune trufficulteur du village de Sarrión dans la province de Teruel, explique que la plus grande partie de la production ibérique est vendue à son voisin francais. Il estime que « l’Espagne y exporte 80 à 90% de sa production qui est ensuite exportée dans le reste du monde ».

De chasseurs de truffe à trufficulteurs

Pour son village et ceux des environs, ce diamant noir a littéralement sauvé ses habitants de la pauvreté. La situation était si dramatique que certains envisageaient même de partir tellement le travail manquait. Mais une découverte va changer le cours de leur vie: la découverte de la ‘tuber melanosporum’ enfouie dans les sols calcaires de cette région aride où rien ne pousse vraiment.

Manuel se rappelle comment le miracle de la truffe a commencé dans les années 50, à l’image de la ruée vers l’or aux Etats-Unis. « Mon père avait 9 ans quand il cherchait des truffes sauvages avec mon grand père. A l’époque, les habitants du village ne savaient pas ce qu’il y avait dans leur sous-sol. Il y avait des gens de Huesca et de Catalogne qui prospectaient en cachette mais on ne savait pas ce qu’ils cherchaient. Un jour, certains nous ont proposé de rechercher pour eux des truffes qu’ils nous rachèteraient ensuite ». C’est de cette façon que le père de Manuel prit connaissance des richesses dont regorgeaient les terrains des alentours.

Pendant longtemps, les chasseurs de truffes sauvages ne savaient pas qu’on pouvait les cultiver. Ils n’y croyaient même pas jusqu’au jour où l’associé du père de Manuel a organisé un voyage en France pour leur montrer qu’on pouvait les produire. Une vraie révolution s’amorce alors pour les habitants des la région. Depuis, plus de 40 familles vivent à Sarrión de la trufficulture. La famille de Manuel en possède neuf hectares en production ainsi qu’une jeune plantation de 50 hectares.

S’armer de patience

Le miracle ne s’est pourtant pas produit du jour au lendemain. La culture de la truffe est longue et ce « n’est pas une science exacte », explique Feli Sanchez, une trufficultrice de Soria et propriétaire d’Encitruf, une pépinière de chênes micorhizés. En d’autres termes, Feli Sanchez vend des chênes dont les racines ont été inoculées par le champignon de la truffe.

Mais quelle est donc cette fameuse recette magique nécessaire à l’épanouissement du diamant noir ? Selon Feli Sanchez, il n’y en a pas : « Tout dépend du terrain et de la bonne irrigation ». Pour pouvoir prospérer, la « tuber melanosporum » a besoin d’un terrain calcaire, riche en calcium. A ceci s’ajoutent des conditions climatiques et géographiques qui devront lui plaire. « Une bonne plante micorhizée, un bon climat, un sol propice et un soin constant de la plantation » sont nécessaires, souligne Manuel.

Il avoue aussi que « toutes les erreurs que les français et les italiens avaient commises dans la culture de la truffe, nous ont aidés ». Mais la patience reste le maître mot sans oublier un bon chien chercheur de truffes. Les premiers résultats sont visibles au bout de 4 ans, voir plus. En général, il faut attendre entre 5 et 8 ans avant que l’arbre ne produise ses premières truffes.

Feli Sanchez possède 11 hectares de plantations truffières dans la province de Soria, soit à 2h30 au nord de Teruel. C’est dans cette région que se trouve aussi la plus grosse truffière du monde, connue sous le nom d’Arotz. Depuis 1971, cette plantation comprend 600 hectares d’arbres truffiers. Selon certaines rumeurs, la truffière ne produirait presque plus aujourd’hui mais sa superficie reste impressionnante.

 

Un bon prix de vente

Mais l’attente des premières récoltes en vaut bien la chandelle car la truffe se vend sur les marchés entre 450 et 700 euros le kilo, expliquent les trufficulteurs des environs Pour les habitants de Sarrión, c’est une véritable aubaine. « Avant, il n’y avait que de la misère qui poussait ici », se souvient Manuel.

Interdite pendant l’Inquisition, la truffe était jusqu’à aujourd’hui peu consommée car peu connue dans la péninsule. Pendant longtemps, elle fut pratiquement inexistante dans la tradition culinaire ibérique même si plus récemment les moeurs sont en train de changer. C’est donc principalement à l’exportation que les trufficulteurs espagnols ont trouvé leur bonheur, comme en France où les consommateurs en sont très friands.

Pour Manuel, il ne fait aucun doute que la truffe noire du Périgord serait en fait produite en Espagne, voir en Italie. On dit même ici que « si Teruel est le Périgord, alors toute la truffe noire provient du Périgord »‘ ajoute-t-il en souriant.

Publié en mars 2015, actualisé en 2019, Ouest-France