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Les espagnols divisés sur la question de la monarchie

L’annonce en juin 2014 de l’abdication du roi d’Espagne a ouvert un fiévreux débat sur la Constitution de 1978.

Tandis que certains réclament la convocation d’un référendum pour l’institution d’une Troisième République, les partis traditionnels PP et PSOE réitèrent leur soutien à la monarchie qu’ils considèrent comme la garante de la stabilité du pays. 

C’est désormais officiel. Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 2 juin 2014 au siège du gouvernement espagnol La Moncloa, le roi d’Espagne Juan Carlos a annoncé sa décision d’abdiquer. Le lendemain, dans la fastueuse salle des Colonnes du Palais Royal, il apposait sa signature sur sa dernière loi: celle de son abdication officielle. Une loi ratifiée par le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy après avoir été approuvée au Parlement espagnol par 87% de députés et 90% de sénateurs. 150 personnes étaient conviées à cette cérémonie solennelle lors de laquelle ne fut prononcé aucun discours. A minuit, son fils Felipe devenait son successeur. 

Après 39 ans de règne, Juan Carlos disait adieu aux espagnols sans faste ostentatoire dans les rues de la capitale.  Quelques drapeaux rouges et or, aux couleurs de l’Espagne, et des gerbes de fleurs blanches parsemaient la capitale espagnole en guise de décor. Seul un important bataillon de policiers fut déployé dans la capitale pour la cérémonie d’abdication du roi d’Espagne: 6000 policiers et 120 franc-tireurs ont veillé à la bonne marche de la succession. 

Mécontentement populaire

A Madrid, les espagnols se disent avant tout inquiets pour leur avenir et sont mécontents des scandales qui ont terni l’image de leur roi. Devant les grands drapeaux espagnols qui enveloppent la facade de la mairie de Madrid, certains passants sont contrariés. “Ce n’est pas le moment de dépenser de l’argent public”, remarque Fernando. “Ils auraient dû se limiter à un acte officiel”. “Le pays est complètement ruiné et il faut se concentrer sur autre chose”, dit-il. Un avis qui est partagé par Laura, 35 ans: “On a actuellement besoin de cet argent”, soupire-t-elle. “Ca m’indigne de voir tout ca”. De son côté, Carmen, 33 ans, se dit “très en colère. Ils ont interdit aujourd’hui deux manifestations: une en défense de l’éducation et l’autre sur les crimes du franquisme”. “Ca me paraît honteux qu’on continue avec une monarchie imposée. La démocratie n’existe pas encore en Espagne”.

Certain réclament même un référendum. “On est encore au Moyen Age”, lance Laura. “Il faut un référendum même si je pense que c’est la monarchie qui l’emportera. Comparée à nos hommes politiques qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts, c’est encore la meilleure option, ajoute-t-elle. 

Un débat qui divise l’Espagne

D’ailleurs dans les rangs du parti socialiste, on commence à parler de réforme mais plutôt light de la succession au trône d’Espagne. “Il faut diriger nos regards vers la Constitution”, a déclaré dans une interview au quotidien El País José Luis Rodriguez Zapatero, ancien chef du gouvernement socialiste espagnol. C’est lui, qui à l’arrivée au pouvoir en 2004 avait tenté de modifier l’article 57.1 de la Constitution Espagnole, qui donne la préférence à un successeur masculin plutôt que féminin. “C’est la loi semi-salique”, explique Amadeo Rey, spécialiste des questions monarchiques. “C’est peut-être Felipe qui va introduire la réforme de la loi de la succession au trône”, souligne-t-il.  

Pour une Troisième République

Au même moment dans la rue, des espagnols demandaient un tout autre changement. “Demain, l’Espagne sera républicaine”, clamaient des milliers de manifestants à la Puerta del Sol, épicentre du soulèvement des indignés, tout en brandissant des drapeaux républicains, rouge, or et violet. 

“Nous voulons être des citoyens, pas des vassaux”, s’exclame Tania, 41 ans. C’est également l’avis d’Estrella, 46 ans.“La monarchie nous coûte de l’argent. On en a besoin pour la santé et l’éducation”. 

“La Constitution de 1978 n’a pas été votée par la majorité de la population. Cette constitution d’inspiration monarchique, il faut la changer et la remplacer par une nouvelle constitution qui pourrait conduire à une troisième République”, souligne Fran Perez, porte-parole du mouvement de la gauche républicaine. Pour lui, “c’est le moment opportun de fermer une étape et d’en ouvrir une nouvelle. Le peuple doit décider pour lui même”. 

Vive le roi, vive la reine

Seuls les plus jeunes paraissent s’enthousiasmer à l’idée des festivités. C’est le cas d’Iñigo, 21 ans et d’Aitana, 23 ans, qui suivront à la télévision la succession du roi. “Le roi est peu valorisé. Moi, je suis content. Le père était vieux et je pense que son fils fera mieux que lui”, dit Iñigo. De son côté, Miriam, 20 ans, parle d’un “grand moment historique pour l’Espagne qu’il faut le célébrer”. 

C’est d’ailleurs aux cris de “Vive le roi, vive la Reine” que Felipe VI et sa femme Laetitia ont été acclamés par des milliers de madrilènes. A bord d’une rolls royce noire, le cortège royal a défilé dans les rues d’une capitale espagnole ornée de drapeaux rouge et or. 

Paré de la ceinture de soie rouge de capitaine général des Armées recue par son père Juan Carlos le matin même, Felipe s’est rendu le 19 juin 2014 au Parlement pour se faire proclamer nouveau roi d’Espagne à l’âge de 46 ans. Les yeux remplis d’émotion, Felipe VI a prêté serment sur la Constitution espagnole. 

Une monarchie rénovée

Héritant d’une monarchie contestée par des espagnols éreintés par des années de crise sociale et politique, Felipe VI a promis aux espagnols que son règne incarnera “une monarchie rénovée pour une nouvelle époque”. 

Dans son discours, Felipe VI  a passé en revue tous les problèmes de son pays: les velléités indépendantistes, la crise, le chômage, la corruption. Il a exprimé sa solidarité aux citoyens “durement frappés dans leur dignité par la crise économique tout en lancant un message d’espoir aux jeunes espagnols à la recherche d’un emploi. Il a également réaffirmé “sa foi dans l’unité de l’Espagne, symbolisé par la couronne”. 

 

Une foule en liesse

Après son discours, le roi et la reine d’Espagne se sont rendus au Palais Royal pour saluer au balcon du Palais royal une foule en liesse agitant des drapeaux rouge et or. Dans toutes les bouches, les mêmes attentes envers le nouveau souverain: désir d’honnêteté, de renouveau et d’union du peuple espagnol. “C’est un jour historique. Ca va être un roi moderne, qui changera les choses et rapprochera la monarchie du peuple”, affirme Nacho. “Il a dit qu’il fera tout ce qu’il peut pour trouver une solution au chômage en Espagne”, s’exclame Cristina, 46 ans. “Je crois qu’il faut être tous unis, il doit être le roi de tous les espagnols”, souligne Amalia, 73 ans. 

Manifestation de Républicains

Non loin de là, une poignée de républicains manifestent. Ils réclament autre chose: la fin de la monarchie et un référendum. Mais aujourd’hui, Madrid avait pris le parti de son nouveau roi. 


 

Interview d’Amadeo Rey, professeur des dynasties royales à l’Université Juan Carlos

  1. Que représente pour les Espagnols la figure de Juan Carlos?  Après la mort de Franco, Juan Carlos devient le symbole de la nouvelle Espagne. C’est lui qui impulse la démocratisation du pays en confiant cette tâche à Adolfo Suarez (chef du gouvernement espagnol de 1976 à 1981). Juan Carlos a incarné à l’extérieur du pays l’image d’une Espagne moderne et nouvelle, une Espagne devenue une puissance économique, même si maintenant elle est en crise. Le roi a exercé la fonction d’ambassadeur économique et commercial de l’Espagne en promouvant les investissements et en mettant en valeur son potentiel économique. Le roi a également contribué à l’entente entre tous les espagnols. Il n’appartient à aucun parti politique. Il est le roi de tous les espagnols. Il a exercé un pouvoir modérateur de manière ferme et inlassable dans un pays qui a vécu une guerre civile très dure. 
  2. Jusqu’à quel point les affaires de ces dernières années ont-elle abimé l’image de la maison royale  ? Les scandales ont fortement écorné l’image de la maison royale. Les gens ont tendance à reporter la responsabilité des erreurs d’une personne sur l’institution, sans tenir compte que ces personnes  changent. La monarchie espagnole a traversé au cours de l’histoire des crises encore plus graves. Il faut remettre les évènements dans leur perspective historique. 
  3. Felipe peut-il sauver l’institution monarchique? Felipe a eu jusqu’à maintenant une conduite irréprochable. Pendant 46 ans, il s’est toujours comporté d’une facon exemplaire. Il devra en premier lieu assurer l’unité de l’Espagne. Il y a une partie du pays (la Catalogne) qui souhaite organiser un référendum illégal pour se séparer. Il devra faire un travail de médiation, tâche que le roi Juan Carlos n’avait peut-être plus la force de faire. C’est Felipe qui devra s’en charger. 
  4. Y-a-t-il une contestation monarchique crédible ? Ce mouvement était jusqu’à maintenant le fait d’une petite minorité. Ce n’est pas encore un mouvement très puissant mais il a pris de l’ampleur ces dernières années en raison des affaires de la famille royale qui ont fortement été désapprouvées par la population.



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