Espagne,  Madrid

Les invisibles ne connaissent pas la reprise économique

En plein quartier des finances de la capitale, dans le quartier de Tetuán au nord de Madrid, vit une importante population de personnes défavorisées. Avec la crise, leur situation s’est détériorée. On les appelle ici les invisibles. Ces oubliés de la crise ne profitent pas de la reprise économique.

Dans une petite rue, non loin du quartier des affaires, des bénévoles déchargent d’une camionnette les denrées destinées à la banque d’aliments mise en place pour aider les oubliés de la crise.

Avec l’éclatement de la crise immobilière, de nombreux volontaires se sont mobilisés pour aider ceux qui avaient tout perdu. Rassemblés au sein du mouvement des indignés, ces citoyens au grand coeur ont eu une idée pour aider les gens de leur quartier: lancer une campagne de visibilité de ces familles sans aucun revenu. C’était en 2014. Cette campagne, ils l’ont intitulé « Les invisibles de Tetuán ».

Hugo Atman, un ancien photographe de mode reconverti dans la lutte sociale est entré dans la danse. Grâce au téléobjectif de son appareil photo, des noms et des visages ont pu être mis sur cette armée de nouveaux pauvres. « La mairie nous a dit que les habitants du quartier n’avaient besoin de rien alors que nous savons que des centaines de familles n’ont aucun revenu », explique-t-il. Dépité par la réponse des autorités, Hugo décide d’agir et d’utiliser ses talents pour illustrer la crise traversée par son pays depuis 2008.


Descente aux enfers

Aurora Bravo, 56 ans, est l’une de ses invisibles qui a accepté de poser pour la campagne. Elle lui a prêté son visage dans une série de clichés. Depuis 2010, cette artiste peintre, ancienne propriétaire d’un appartement de 150 mètres carrés, situé dans la partie la plus opulente du quartier, a connu une véritable descente aux enfers. Aurora avait deux restaurants qu’elle a dû fermer ….. faute de clients.

Suite à la fermeture de ses établissements, Aurora ne pouvait plus honorer ses traites. Elle a perdu son appartement juste avant de tomber malade. Le diagnostic est foudroyant: Aurora a un cancer. Travailleuse indépendante, Aurora n’a le droit à aucune allocation chômage. « Pourtant, j’ai côtisé toute ma vie », explique-t-elle interloquée « Mais j’ai vite compris que je n’avais droit à rien, absolument rien. Ni dans un mauvais rêve, je n’aurais imaginé qu’une telle chose pouvait m’arriver », dit-elle.

Dans cette situation, Aurora n’est pas la seule. Un rapport réalisé par le collectif des indignés dénonce leur situation: une personne sur cinq dans le quartier est au chômage, et plus de la moitié ne percoit aucune aide. Depuis 2009, cette population aurait augmenté de 42%.

Reprise économique ?

Pour Aurora comme pour de nombreux espagnols, les cloches de la reprise n’ont toujours pas sonné. «C’est très difficile de trouver du travail et si tu en trouves, ce sont des emplois précaires, mal payés. Moi, j’ai envoyé des centaines de CV sans succès », explique-t-elle.

Pourtant les médias ne cessent de parler de croissance et d’une baisse du chômage. Mais Hugo Atman constate que cette reprise ne concerne qu’une minorité. « En Espagne, le nombre de millionnaires a augmenté. Par contre, la classe moyenne est devenue pauvre et les pauvres sont devenus extrêmement pauvres», soupire-t-il. 

Publié en juin 2015, Ouest France, actualisé en 2020.