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Dans le phare du bout du monde

 

Une petite lumière qui scintille dans l’immensité de deux océans : c’est le phare du Cap Horn. Dernière trace de civilisation humaine avant de pénétrer dans le monde gelé de l’Antarctique, à 950 kilomètres. C’est ici qu’en 2011 se termine pour Miguel Apablaza une mission extraordinaire : pendant un an, il a gardé le phare de l’Ile d’Horn en compagnie de sa femme et de son fils.

 

Sur une petite ile de 12 kilomètres carrés, Miguel Apablaza garde un minuscule phare. Un phare minuscule mais pas n’importe lequel. Miguel est en effet le gardien du mythique phare du Cap Horn. C’est d’ici que Miguel Apablaza guide les navires qui passent par l’une des voies maritimes les plus dangereuses au monde.

Le maire de la mer

Ce matin, le maire de la mer et sa famille reçoivent la visite des passagers du bateau de croisière Stella Australis. Pour certains de ces touristes, c’est le rêve de toute une vie qui est sur le point de se réaliser. Mais il faut faire vite car la mer peut se déchaîner sans crier gare, formant de gigantesques vagues sous l’impulsion des vents extrêmement violents. Le Cap Horn est le point de passage le plus redouté des navigateurs. 800 navires ont été engloutis dans ce cimetière marin, comme le rappelle le monument érigé sur l‘île en 1992 en mémoire des 10 000 marins qui y ont perdu la vie.

Météo très instable

Pour le capitaine du Stella Australis, Oscar Sheward, pas question de risquer la vie de ses passagers. Il avait appelé la veille Miguel pour connaître les conditions météo. Jusqu’au petit matin, le suspens restait entier pour les passagers qui ont attendu impatiemment le feu vert du marin chilien, qui veille de près aux conditions météorologiques. Car toutes les trois heures, Miguel fait ses rapports météo. Il contrôle aussi le trafic maritime et mène des missions de sauvetage, en cas de besoin. Il raconte qu’en été, il se « couche à 3 heures du matin » et se « lève à 6 heures pour recevoir les premiers touristes. Environ, 500 navires et 400 voiliers sont arrivés jusqu’ici en un an. Et puis, tous les trois jours, ils reçoivent de la visite des bateaux de croisière ». Comme c’est le cas aujourd’hui.

Miguel va à la rencontre des visiteurs qui arrivent en zodiac. Pour le marin, c’est la routine: 12 000 personnes y ont débarqué cette année et 88 000 l’ont circumnavigué. Dans le magasin du phare, sa femme Katherine, 26 ans et son fils Mathias, 8 ans se tiennent prêts à estampiller les passeports, vendre le diplôme qui attestent aux visiteurs qu’ils ont atteint le point le plus austral de la terre. La légende dit que ceux qui réussissent cet exploit ont « le droit de manger avec un pied sur la table », commente Miguel en souriant.

Dossier passé au crible fin

Un mélange de fierté et de reconnaissance se lit sur son visage : « Nous sommes fiers d’être la famille la plus australe de la terre ». Miguel sait qu’il est privilégié. « Il y a de nombreux postulants à ce poste », souligne le gardien. Et puis les places se font rares, puisque la plupart des phares sont aujourd’hui automatisés. La Marine chilienne en possède encore dix-huit habités par des familles sur tout son territoire. Avant de le muter ici, les autorités chiliennes ont passé son dossier au crible fin car le Cap Horn est « non seulement le plus emblématique mais aussi le plus important, autant d’un point géostratégique que militaire », explique Mauricio, guide scientifique à bord du bateau de croisière Stella Australis. «A la fois frontière entre l’Océan Atlantique et Pacifique, longtemps point de passage crucial des routes commerciales, c’est également l’ultime position chilienne sur le continent», ajoute-t-il.

Sentir les forces de la nature se déchaîner est extraordinaire

Avant sa mutation, Miguel dit avoir aussi subi des tests psychologiques. Car pour vivre ici, il faut savoir supporter la solitude et de rudes conditions de vie. Mais peu importe s’ils ne peuvent manger tous les jours des produits frais ou si en hiver, « la grêle leur perfore le visage de milles aiguilles », la famille Apablaza est ravie d’y habiter, fascinés par cette nature si hostile qui les entoure: « Sentir les forces de la nature se déchaîner est extraordinaire. On a vu des vents qui soufflaient à 320 kilomètres à l’heure et des vagues de 15 mètres de hauteur. Ce que mon fils Mathias adore le plus, c’est quand la maison se met à trembler», souligne Miguel Apablaza. Et puis en hiver, la famille se réjouit d’être tranquille, sans les touristes.

Une vraie vie de famille

Peur de l’isolement et de l’ennui ? Pas du tout : « avec la télé par satellite, internet et le téléphone », ils ne sont pas coupés du monde. Pourtant, pas question d’accueillir des proches pendant plus de quelques heures au cas où il leur arriverait quelque chose. En cas de problème de santé, la Marine serait obligée de déclencher son plan d’urgence et d’envoyer un hélicoptère. Mais pour les Aplazaba, « l’opportunité de mener une vraie vie de famille est quelque chose qui n’a pas de prix ». « Avant, je pouvais partir plusieurs semaines en mer » raconte Miguel. « Travailler ici a changé drastiquement notre vie », souligne-t-il

Quant au jeune Mathias, il se dit ravi de son expérience au bout du monde. A l’aube, il aide ses parents à accueillir les touristes qui arrivent sur l’ile. Ensuite, il assiste aux cours de sa mère Katherine, qui suit les « directives de l’école qu’elle reçoit par internet. » Après les cours, Mathias inspecte les lieux avec sa mère, en compagnie de leur berger allemand. Garde-forestière de profession, Katherine doit vérifier l’accessibilité des chemins. Puis c’est l’heure du déjeuner en famille. « Après le déjeuner, on révise les devoirs, puis on joue à la play station, on regarde un film en famille ou bien on fait une partie de foot’, raconte Miguel qui dit disposer de toutes les technologies de communication leur permettant d’être reliés au monde. Et puis, « tous les deux mois, il y a un navire de la Marine qui nous apporte des provisions. Une fois, il n’a pas pu débarquer pendant une semaine en raison des intempéries. Mais on a nos réserves ».

Derniers jours d’une expérience inoubliable

La famille la plus australe de la terre profite encore des derniers jours réunis sur la falaise la plus mythique du globe: un peu tristes mais heureux d’avoir fait cette expérience inoubliable. Prochaine étape: Puerto Chacabucco où Miguel repartira en mer. A la fin du mois, Ils devront alors passer le flambeau à la famille Cadiz Opazo qui vivra pendant un an dans ce phare qui fait rêver le monde entier.