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Drôle de chasse aux mauvais payeurs

Ce sont des recouvreurs de dette pas comme les autres: ils viennent sonner aux portes des mauvais payeurs comme s’ils allaient à une cérémonie: costume en queue-de-pie noire et chapeau haut de forme. Objectif: attirer l’attention pour faire pression. Voici l’étonnante manière de récupérer les impayés de la société de recouvrement El Cobrador del Frac.

Dans un quartier résidentiel situé dans le nord de Madrid, un homme portant un haut-de-forme et vêtu d’un costume noir en queue de pie, descend de sa petite Peugeot. Sur la portière, on peut lire en grosses lettres « El Cobrador del Frac » (l’encaisseur en frac). C’est le nom des 80 chasseurs de dettes envoyés par une célèbre société de recouvrement dans toute la péninsule en quête des mauvais payeurs.


La surprise et la honte

Muni de son attaché-case, Miguel Angel de Pedro s’avance d’un pas décidé vers la porte du propriétaire d’une PME qui n’a pas payé les onze factures qu’il doit à un service de nettoyage. Il compte sur une méthode qui s’est révélée infaillible depuis la création de cette curieuse entreprise en 1988 : la surprise et la honte. « Quand un mauvais payeur me voit, il tombe de haut et prend peur », explique Miguel Angel de Pedro. S’il ne paie pas après ma première visite, je reviens le voir. S’il n’est pas là, je parle aux voisins qui rigolent. Ici, on craint beaucoup le qu’en dira-t-on. »

Cela fait neuf mois que Miguel Angel sillonne les rues de la capitale et des environs pour récupérer les impayés. Cet ancien ouvrier du secteur de la construction se sent l’âme d’un justicier. « Certains s’achètent une Mercedes et, ensuite, ils ne paient pas leurs fournisseurs, qui sont ruinés à leur tour », dénonce-t-il. Avant d’ajouter, dans un grand sourire : « Mais la majorité finit par payer. » 


Peur du ridicule

L’entreprise du Cobrador del Frac, qui emploie 500 personnes, a connu des émules. Les chasseurs de dettes se sont multipliés et les déguisements aussi. Le but: se faire remarquer du voisinage pour obliger le mauvais payeur à rembourser sa dette. Des déguisements les plus invraisemblables les uns que les autres. Il ne faut pas donc s’étonner de voir au coin d’une rue le Torero du mauvais payeur (El Torero del Moroso), ou un moine représentant le monastère du recouvrement (El Monasterio del cobro) ou encore un homme revêtu de noir à l’image du justicier Zorro (El Zorro cobrador).

Tout le monde n’approuve pas cette manière de mettre sous pression les personnes en difficulté, comme cet avocat qui a décidé de prendre la défense des victimes des encaisseurs du Frac.  Ancien employé du Cobrador, Pablo Camacho « lutte contre le vide juridique de ce genre d’entreprises ». 


De plus en plus difficile de récupérer les dettes

Dans une Espagne en crise, des milliers de PME ont mis la clé sous la porte depuis 2008, faute de pouvoir faire face à leurs dettes. « Avant, les PME faisaient appel aux crédits pour payer leurs dettes. Mais maintenant, les robinets des banques sont fermés. Alors, de plus en plus de créanciers de ces petites entreprises font appel à nos services, explique Manuel Merino, le directeur du département juridique du Cobrador del Frac. 

Mais il avoue que c’est de plus en plus difficile de récupérer l’argent, dans un pays miné par la crise et dont le taux de crédits « irrécupérables » était passé en novembre 2014 à 13%.

Article publié en 2014