Voyage en Alsace
Alsace,  France

Le voyage en Alsace de Robert Doisneau

La maison d’édition Flammarion réédite en 2021 le catalogue de l’exposition « Le voyage en Alsace de Robert Doisneau ». Cet ouvrage replace des photos inédites, prises par Robert Doisneau en Alsace en 1945, dans leur contexte historique.

Photo Robert Doisneau

Photo Robert DoisneauPhoto Robert Doisneau

 

En 1945, le photographe Robert Doisneau a 33 ans. Il se rend en Alsace pour faire des clichés d’illustration d’un guide touristique sur l’Alsace. Jamais publiées, ces photos prises au lendemain de l’armistice suscitent aujourd’hui de nombreuses interrogations. Pourquoi Robert Doisneau n’a-t-il pas photographié les destructions, pourquoi a-t-il préféré mettre en valeur le caractère idyllique de l’Alsace ?

Des images sorties de l’oubli

Ce sont justement ces questions qui ont intrigué le journaliste Vladimir Vasak lorsqu’il découvre les photos alsaciennes de Robert Doisneau au cours d’un reportage sur le célèbre photographe à l’Hôtel de Ville de Paris. A cette occasion, il fait la connaissance d’Annette Doisneau et Francine Deroudille, les deux filles du photographe, gardiennes d’un fond d’environ 400 000 photos.

Le journaliste y découvrira les images prises par Doisneau en Alsace au lendemain de la libération de la région. Séduit et intrigué par ces clichés inédits, Vladimir Vasak, alors président du Club de la Presse de Strasbourg, décide en 2008 de faire sortir ces images de l’oubli. Avec l’aide d’Anka Wessang, la directrice du Club, il propose à la Maison de l’Alsace et la Filature de Mulhouse d’exposer le travail du célèbre photographe. L’idée fait mouche.

Les photos exposées en grand format à la Maison de l’Alsace à Strasbourg et sur des petites planches intimistes à la Filature de Mulhouse ne manquent pas d’interpeller les alsaciens avisés. Ces images montrent une Alsace sublimée alors que la région est loin de pouvoir montrer son plus beau visage. A la libération, l’Alsace était une région meurtrie : les bombardements avaient défiguré de nombreuses villes. Mais comme le constate Anka Wessang, co-autrice du catalogue, l’Alsace que photographie Doisneau ne laisse transparaître que peu de ses blessures. « Nous savons tous qu’en 1945, l’Alsace n’était pas ce beau pays si calme et si posé que Doisneau voulait bien nous montrer. Nous avions été annexés par l’Allemagne et l’Alsace était en pleine dénazification. Il y avait des règlements de compte, des femmes tondues, beaucoup de ruines. C’était beaucoup plus dur que ce que nous montraient les photos de Doisneau ».

Photo Robert Doisneau

 

Un catalogue pour recontextualiser les clichés

Pour restituer cette face cachée, celle d’une Alsace encore marquée par les stigmates de la guerre, Anka Wessang et Vladimir Vasak ont fait des recherches, rencontré des historiens et des témoins afin de dresser une « trame différente », tout en suivant le parcours du photographe, explique Anka Wessang. « Quelques photos plus rares de Doisneau » révèlent néanmoins les meurtrissures subies par la région : « des photos qui montrent des maisons en ruines, des impacts de balles… », remarque la directrice du Club de la Presse.

Néanmoins, peu d’indices révèlent pourquoi Robert Doisneau a évité de photographier les destructions d’après-guerre. Pour Anka Wessang, l’une des explications est liée à la nature même de la commande faite par l’imprimeur alsacien Pierre Braun qui voulaient des photos destinées à « illustrer un guide touristique » sur la région. « On ne lui a pas dit de montrer les scories de la guerre en Alsace, on lui a dit de montrer une Alsace où on a envie d’aller, où les gens sont heureux, où il n’y a pas de problèmes et une Alsace rattachée à la France », remarque-t-elle.

Cette volonté de rattacher une région déchirée à la France constitue peut-être l’une des motivations de ce guide, comme le souligne le Club de la Presse de Strasbourg dans un communiqué: « Tout se passe comme si Doisneau avait voulu démontrer que cette région symbolique était aussi belle que française ». Selon une interview réalisée avec l’historien Christian Kempf, la publication d’un guide touristique sur l’Alsace pourrait s’inscrire dans « une logique patriotique », « pour parler de l’Alsace d’une façon positive ».

 

Le mystère des clichés alsaciens

Malgré les minutieuses recherches menées par les auteurs du catalogue, le mystère autour des clichés pris par Doisneau en 1945 reste entier. Pour une raison méconnue de tous, « ces images n’ont jamais été publiées » et « le guide touristique n’est jamais paru », raconte la directrice du Club de la Presse.

Seul le regard que le photographe porte sur cette Alsace nous dévoile ce que Doisneau a ressenti. Ses images d’une Alsace folklorique, belle et paisible sont froides et empreintes de tristesse. Etonnant pour un artiste qui aimait photographier la vie, la joie et la chaleur humaine ?

Celui qui gardait un très mauvais souvenir de sa mobilisation en 1939 a peut-être voulu exprimer sa compassion, son dégoût pour la guerre ? Quoiqu’il en soit, ces images constituent un précieux témoignage, le témoignage d’une douleur profondément bouleversante, dont personne ne souhaite parler. Comme si le mystère qui enveloppe encore aujourd’hui les photos de Doisneau avait pour but de respecter ce silence.

Cinquante ans après, la publication de ces photos inédites et le travail de recherche réalisé par le Club de la Presse de Strasbourg ont en tous cas permis une chose : sceller un lien indélébile entre l’œuvre de Doisneau et Strasbourg. En 2018, les filles du célèbre photographe, gérantes de son atelier, ont autorisé que la ville expose une quinzaine de photos de leur père sur le parvis du Palais Rohan dans le cadre de « Strasbourg mon amour ».

 

 

Photos: Robert Doisneau