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Les mille métamorphoses de Berlin

 

 

Histoire d’une ville en perpétuelle mutation.

De capitale prussienne au rêve de Germania en passant par les bombardements des alliés et la reconstruction de la capitale allemande réunifiée, Berlin a subi entre 1920 et les années 2000 d’importantes métamorphoses. 

On dit que le cinéaste autrichien Fritz Lang s’est inspiré de New York pour réaliser en 1927 son chef-d’oeuvre cinématographique « Metropolis ». Mais n’oublions pas qu’à la même époque, Berlin, la ville où fut réalisée cette super-production, devenait une mégalopole.

Metropolis

Dans les années 20, 93 communes furent soudainement intégrées à la capitale suite à une réforme administrative. Ce gigantesque ensemble, qui englobait 4,2 millions d’habitants sur une superficie totale de 883 km2, s’appelait le Grand Berlin (Gross-Berlin). Fritz Lang y vécut jusqu’en 1933. Ses observations sur les relations sociales et son regard sur les transformations urbanistiques de cette époque ont sans aucun doute aidé le réalisateur à façonner sa vision d’une ville futuriste où des ouvriers sont exploités dans la partie basse de la ville tandis que les riches s’amusent dans la ville haute. Certains disent même que son film était une sorte de prémonition des atrocités perpétuées par les nazis.

Mais sans aller aussi loin, Berlin était dans les années 20 une métropole haute en couleur. C’était une ville d’une grande élégance: des édifices fastueux bordaient de grandes avenues plantées d’arbres. C’était aussi une ville trépidante, souvent comparée à New York en raison de son rythme et de sa modernité. « Berlin: Symphonie d’une grande ville » de Walther Ruttmann (1927) filme justement cette vie berlinoise effrénée avec ses mouvements de foule, ses progrès techniques et son activité industrielle. Capitale de la révolution industrielle, Berlin regorgeait aussi de fabriques qui ont attiré aussi bien hommes d’affaires qu’ouvriers pauvres. Le célèbre triptyque de la « Grande Ville » du peintre allemand Otto Dix rappelle comment différents mondes s’y côtoyaient. Tandis que tableau central montre comment une partie de la population insouciante s’amusait dans le luxe, les deux autres panneaux du triptyque font référence à la misère de certains quartiers ou à l’ambiance sordide des bordels. Car ne l’oublions pas. Berlin était aussi la ville des cabarets, des théâtres, du cinéma, de la vie nocturne frénétique, contribuant à la création du mythe qui est encore vivant aujourd’hui.


 


Des univers engloutis

Malheureusement ces univers furent littéralement engloutis lors de la vague de destructions provoquées par les bombardements des alliés. Fini ses quartiers juifs avec ses boutiques d’artisans, ses luxueux quartiers avec ses édifices imposants et ses magnifiques façades décorées, ses quartiers pauvres avec ses rues étroites et obscures, ses quartiers ouvriers avec ses enfilades de cours. Tout cela fut réduit en cendres au lendemain de la seconde guerre mondiale. 


Mais pas seulement les bombardements furent à l’origine de ces destructions. Pendant la guerre, les nazis avaient déjà commencé à raser certaines zones, notamment celles habitées par les juifs. Ces quartiers devaient laisser place aux plans mégalomanes qu’Hitler et son architecte Albert Speer avaient pour la capitale du Troisième Reich.

Ce Berlin imaginé par Speer et Hitler s’appelait Germania, du nom d’une déesse de la mythologie grecque. Germania reflétait la folie des grandeurs du dictateur allemand. De nouveaux bâtiments aux dimensions gigantesques affichaient une esthétique sobre et stricte avec des lignes inspirées de l’architecture grecque, tout en renforçant l’axe nord-sud de la capitale. Mais les onéreux plans de guerre du dictateur allemand ne permirent pas l’achèvement de ce vaste programme urbain qui aurait dû changer la face de la capitale du Troisième Reich. Aujourd’hui, les Archives Nationales de la ville ont conservé une maquette qui permet de se faire une idée de ce qu’aurait pu devenir la ville rêvée par le dictateur et son architecte. Une grande partie de ces constructions se trouve désormais enterrée sous la Montagne du Diable, le Teufelsberg, un monticule constitué des ruines de Berlin. 

Pour mettre fin à la folie des nazis, les alliés employèrent des méthodes radicales. Presque 50% de la ville disparut sous les bombes. L’univers qui avait permis de créer le mythe de Berlin fut ainsi réduit en cendres.  Après la guerre, les besoins urgents en logements ne donnèrent pas le temps à la réflexion pour reconstituer son urbanisme. Priorité était évidemment donnée à la reconstruction économique du pays. 

Quatre zones

Puis très vite, au lendemain de la guerre surgirent de graves tensions politiques. Berlin était divisée en quatre zones: une zone soviétique à l’est et une zone anglaise, américaine et française à l’ouest. Ces tensions issues de la Guerre Froide ne permirent pas une restructuration unique et coordonnée du tissu urbain de la ville détruite. 


Au contraire, le régime de l’ex-RDA poursuivit le processus de destruction provoqué par la guerre. Fortement endommagé par les bombardements, le château de Berlin fut littéralement dynamité par les dirigeants de l’ex-RDA qui voulaient en finir avec ce symbole du pouvoir prussien. Un symbole qu’il fallait rayer de la carte.

Ville meurtrie, ville divisée

La construction du mur de Berlin en 1963 mit aussi fin à toute ambition urbanistique de réhabiliter la ville dans son ensemble. 

Après la guerre, sous l’impulsion des alliés, la partie occidentale de Berlin cessa d’être capitale. Le nouveau gouvernement allemand prit ses quartiers à Bonn en Allemagne Occidentale. Avec la guerre froide qui battait son plein, la partie orientale de la ville devint la capitale de la nouvelle République Démocratique Allemande (RDA). Chaque partie de la ville évolua séparément, en fonction des décisions de ses dirigeants.


Réunification et chute du mur de Berlin

La chute du mur en 1989, qui permit la réunification des deux états allemands, fut aussi l’opportunité de rendre à la ville le rôle qu’elle avait auparavant. En 1991, l’Allemagne décida le transfert de la capitale de l’Allemagne réunifiée de Bonn à Berlin.

Le défi à relever était important: il s’agissait en premier lieu de redonner vie à un centre horriblement mutilé par les destructions provoqués tour à tour par les nazis, les bombardements alliés puis par la construction du mur, un concours international d’architecture fut organisé en 1993.


On entreprit ainsi la reconstruction de la mythique place de Potsdam qui mit fin au « no man’s land » provoqué par la construction du mur. Cette place, symbole du Berlin frénétique des années 20, fut transformée en petit Manhattan ultramoderne avec les édifices de grandes multinationales telles que Mercedes (Hans Kohlhoff), Debis (Renzo Piano), ou le complexe tout en verre du Sony Center construit par l’architecte germano-américain Helmut Jahn.


Juste à côté de ce nouvel ensemble, se trouvait à l’Ouest le fameux Kulturforum (constitué par la bibliothèque des Beaux Arts, la Nouvelle Galerie Nationale Ludwig Mies van der Rohe, la Philharmonie, la Bibliothèque Nationale, deux chefs d’œuvre de l’architecte Hans Scharoun).


Une fois le coeur économique de la ville rétabli, il fallait s’occuper du coeur politique en construisant de nouveaux édifices destinés au gouvernement allemand et aux institutions. Norman Foster, l’architecte de renommée internationale, donna au Parlement Allemand, le Reichstag, une nouvelle coupole. L’originale avait disparu sous les bombardements.


C’est autour du Reichstag, monument emblématique conçu en 1874 par Paul Wallot que le nouveau quartier gouvernemental put se développer. Juste en face du Parlement, une chancellerie gigantesque, actuel siège du gouvernement fédéral, fut construite entre 1997 et 2001 par les architectes Axel Schule et Charlotte Frank. La forme particulière de l’édifice lui valut le surnom de « machine à laver » en raison de ses similitudes avec cet appareil électro-domestique.


Plus tard, les immeubles qui devaient abriter les administrations fédérales furent construits le long de la Spree par Stephan Braunfels. A l’opposé des plans développés par Albert Speer, la reconstruction de la ville se concentrait désormais sur l’axe occidental-oriental et non plus nord-sud. Le pont qui passe juste au dessus de la Spree symbolise la réunification des deux parties de la ville divisée. 



Autre endroit symbolique de la ville : la Place de Paris avec son monument emblématique: la Porte de Brandenbourg. Témoin des moments les plus forts de l’histoire de Berlin, la place fut remaniée selon deux concepts. D’un côté, il était important de respecter le tracé historique de la place sans pour autant empêcher la construction de nouveaux bâtiments tels que l’Académie des Beaux Arts de Gunter Behnisch, l’Ambassade Américaines de Moore, Ruble y Yudell, la Deutsche Grundkreditbank de l’américain Frank Owen Gehry et l’Ambassade de France de Porzempac.


Cette place reflète l’éclectisme de styles qu’a choisi Berlin pour devenir une capitale européenne. Tentant de se frayer un chemin entre la tradition et la modernité, elle a misé sur des architectes de renommée internationale qui sont venus relever le fascinant défi de la reconstruction d’une ville en perpétuelle mutation.

Prochaine étape en 2020. La reconstruction du château de Berlin, ce fameux château de la dynastie des Hohenzollern bombardé en 1945 et rasé par les communistes en 1950, devrait s’achever cette année.