Economie

Une fragile reprise de l’économie espagnole – 22.04.2015

Gouvernement et banque centrale tablent sur une hausse du PIB de 2,5 % et plus cette année. Les économistes déplorent le manque de réformes de fond.

Les trois années de récession du début de la décennie en seraient presque oubliées : la croissance est de retour en Espagne. A en croire le ministre ibérique de l’Economie Luis de Guindos, il est « prudent » d’estimer qu’en 2015, le PIB espagnol augmentera entre « 2,5 % et 3 % », une prévision en ligne avec celle de la Banque d’Espagne qui, elle, table sur une croissance de 2,8 %. La banque centrale a d’ailleurs révisé ses prévisions du PIB à la hausse à 0,8 % au premier trimestre.

Une baisse des prix à la consommation depuis neuf mois, un début de résorption du chômage, quelques dépenses de travaux publics, la reprise du recrutement dans la fonction publique, des meilleures conditions de financement de la dette publique espagnole et l’annonce d’une baisse des impôts ; autant de bonnes nouvelles qui ont redonné confiance aux ménages espagnols. Selon Josep Comajuncosa, professeur d’économie à l’école de commerce Esade, c’est bien ce retour de la confiance qui pousse les Espagnols à accroître leurs dépenses : « La consommation ne s’est pas améliorée parce que le pouvoir d’achat a augmenté mais parce que les perspectives futures s’améliorent ». En témoigne le début de l’inversion de la courbe du chômage, pourtant encore à des niveaux stratosphériques, mais passant de 25,6 % de la population active en 2013 à 23,7 % en 2014. La banque centrale table sur une poursuite de ce recul à 20,5 % en 2016.

A quelques mois des élections générales, ce vent d’optimisme donne des ailes au parti au pouvoir qui y voit les résultats de sa politique d’austérité. Pour José Moises Martin Carretero, économiste et membre d’« Economistas frente a la Crisis », « les politiques d’austérité ont seulement provoqué un ajustement des variables macroéconomiques sans transformer la structure économique du pays ». Pour lui, c’est « la demande interne qui relance l’économie et non pas l’investissement ».

Persistance des déséquilibres

Trois autres facteurs indépendants de la politique du gouvernement espagnol ont contribué au retour d’une croissance vigoureuse : la baisse des prix du pétrole, la faiblesse de l’euro et l’amélioration des conditions de financement. « Il y a des raisons d’être optimiste pour 2015. Mais cela est dû à des facteurs extraordinaires. On ne peut parler que d’une reprise embryonnaire, dont les effets peuvent se diluer avec le temps », estime Mathias Lamas, économiste chez « Analistas Financieros Internacionales » (AFI),

Pour José Moises Martin Carretero, les déséquilibres persistent puisque la relance s’appuie essentiellement sur la consommation des ménages : « Le taux d’épargne recommence à baisser et nous nous endettons de nouveau avec l’extérieur, ce qui nous situe dans une situation similaire à celle vécue il y a sept ans », souligne-t-il.

D’autres faiblesses sont pointées par les économistes : l’endettement privé et public qui reste élevé et le déficit commercial de l’Espagne, qui avait diminué ces dernières années grâce à une réduction drastique des importations. « Entre 2011 et 2014, les exportations avaient augmenté à un rythme annuel de 10 %. Nous importons de nouveau beaucoup de produits du reste de l’Europe, ce qui démontre que la productivité espagnole reste faible », commente Josep Comajuncosa.

Avec la réforme du marché du travail adoptée par le gouvernement, provoquant une baisse consécutive des salaires et une réduction des coûts de licenciements, l’Espagne avait en effet « accru sa compétitivité » vis-à-vis des marchés extérieurs. Aujourd’hui, si le rythme de création des emplois est « bon », il émet des doutes sur la qualité de ceux-ci. C’est aussi l’avis de José Moises Martin Carretero : « L’Espagne a une faible productivité, un tissu productif très atomisé, beaucoup de petites entreprises peu productives et précaires qui embauchent temporairement, bien plus que dans d’autres pays, et qui ne peuvent investir en recherche et en développement ». Selon lui, « 40 % des Espagnols en âge de travailler n’ont qu’une formation de base, voire moins ». « Le type d’emploi créé a peu de valeur ajoutée. Une grande partie des chômeurs n’a pas acquis de nouvelles compétences, ce qui limite les perspectives d’emploi dans d’autres secteurs », souligne Mathias Lamas.

« La croissance économique augmente mais aucun problème de fond n’a été résolu », observe José Moises Martin Carretero. Pour beaucoup, il s’agit plus d’une « reprise cyclique » qu’autre chose. « Il n’y a pas vraiment de changement structurel important », conclut Mathias Lamas.

INTERVIEW AVEC FERNANDO LUENGO

Professeur d’économie appliquée à l’Université Complutense de Madrid

La reprise économique en Espagne est-elle pérenne ?

L’économie espagnole est sortie de la récession. Différents organismes disent même que la croissance actuelle pourrait s’améliorer. C’est le discours ambiant. Mais cette croissance va-t-elle vraiment durer et est-elle alimentée par des facteurs sains qui permettent de regarder le futur avec un certain optimisme ? Malheureusement, il y a des problèmes qui ne sont pas encore résolus.

Le taux de chômage commence à refluer…

Oui, mais les salaires ont beaucoup diminué, les journées de travail sont plus longues et plus intenses. Je me demande si les vertus de la croissance n’excluent pas une majorité. Il existe une importante fracture sociale en Espagne. Les indicateurs d’inégalité la mettent au même niveau que la Bulgarie ou la Roumanie. On a créé de l’emploi mais une grande partie des contrats sont temporaires ou à temps partiel.

Quelles sont les faiblesses qui subsistent ?

Il y a encore des indices préoccupants, par exemple le niveau de la production est encore de 15 % à 20 % inférieur à celui de 2007. Le renouvellement des capacités productives reste encore très faible. La désindustrialisation de l’économie espagnole, les inégalités, le financement, les divergences entre le nord et le sud de l’Europe, facteurs plus structurels qui étaient d’ailleurs à l’origine de la crise, subsistent. Non seulement ces déséquilibres n’ont pas été corrigés mais dans certains cas, le gap avec les pays du nord de l’Europe s’est accentué. On a détruit beaucoup de capital humain et productif ces dernières années. Et puis l’Espagne n’a toujours pas résolu le problème de son déficit commercial. Elle continue d’avoir un problème de productivité de ses produits, des biens et services vendus en Europe et dans le monde. Elle continue aussi d’être dépendante technologiquement et énergétiquement.

Pourtant, le gouvernement parle d’une reprise vigoureuse ?

Le discours du gouvernement espagnol ressemble à un mantra. C’est une année électorale très importante en Espagne. Le chômage reste encore très élevé tout comme la dette du secteur public. Pourtant avant la crise, c’était l’un des pays les plus assainis du point de vue des comptes publics. Aujourd’hui, il est impensable de retrouver les taux de croissance que l’on a connus entre 2001 et 2007. La croissance, basée sur l’endettement privé, appartient au passé. Le pays a renoué avec la croissance économique, mais c’est une croissance très insuffisante, fragile et très mal distribuée.